Influences:
à propos d'Antoine Nochy
Philosophe, éthologue et Ingénieur écologue, Antoine Nochy a étudié les loups sauvages dans leur milieu naturel pendant près de vingt ans, et ce aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. Il est le premier européen à avoir activement rejoint l’équipe de la « Wolf Survey » du parc National de Yellowstone et à avoir participé aux mesures de gestion des prédateurs hors du parc, en Idaho central notamment. A son retour en France, Il crée l’association Houmbaba pour promouvoir le retour des grands prédateurs dans le paysage social des hommes. Une réflexion qui convoque à la fois philosophie, éthologie, anthropologie et biologie de la conservation. Fort de ses expériences internationales, ses travaux portent sur la gestion et l’étude des grands prédateurs (notamment le loup) dans des problématiques socio-environnementales. Antoine nous a quitté le 16 Janvier 2021. Avec lui c’est toute l’expérience d’une vie qui s’en est allée. Celle d’un trappeur philosophe, un ingénieur du sauvage ayant parfaitement lié les connaissances des anciens avec la réflexion méthodique de la science pour faire face à la problématique des interactions entre l’homme et les grands fauves. Et pour cause, Antoine a eu pour mentor Douglas W. Smith et Carter Niemeyer. Douglas W. Smith est l’un des principaux porteurs scientifiques du projet de réintroduction des loups, et par la suite est devenu directeur de la recherche du parc de Yellowstone (il a pris sa retraite en 2022). Carter Niemeyer pour sa part, a capturé les loups canadiens réintroduits à Yellowstone et a mis en place le protocole de suivi de ces animaux à travers les processus de capture/recapture et utilisation du collier émetteur. La réintroduction du loup à l’échelle du Grand Ecosystème de Yellowstone (GYE) constitue jusqu’à présent la plus grande réussite écologique du XXI siècle sur la conservation et l’étude d’un grand carnivore.
Crédits photos: (c) Association Houmbaba
Les histoires d’Houmbaba et d’Amaruq
Houmbaba (ou Humbaba) dans « L’épopée de Gilgamesh », est le gardien du monde sauvage qui veille sur les prairies, les rivières, les collines, les forêts et les « lions ». Dans sa quête de l’immortalité, Gilgamesh demande le soutien du dieu Utu (ou d’Enki, selon les versions) pour terrasser le gardien des forêts. Par duperie et grâce une aide divine, Gilgamesh parvient à tuer le démon. Cette exécution provoquera la colère des dieux. Même après sa mort, l’essence d’Houmbaba demeure dans les différentes entités du monde sauvage, l’immortel n’est pas celui qui ne meurt pas mais celui qui sait mourir pour mieux renaître. Houmbaba illustre le monde sauvage, et l’image animale qui en est l’élément le plus dense : l’un des aspects les plus fondamentaux dans le regard que l’Humanité porte sur elle-même.
- George (1999). The Epic of Gilgamesh: A New Translation, Oxford, Penguin Classics. p. 149-166
- Bottéro (1992). L’Épopée de Gilgameš : le grand homme qui ne voulait pas mourir, Gallimard, coll. « L’aube des peuples »
Amaruq (ou Amarok) dans la cosmogonie inuit, est le grand esprit du loup. Amaruq dévore les chasseurs trop imprudents qui partent seuls la nuit. Tout comme il prend l’âme de ceux qui osent venir tuer ses petits. Le loup est un gardien féroce qui participe à l’équilibre de la forêt et des règles de la chasse. Ceux qui violent cet équilibre en paient souvent le lourd prix. Cependant, les amaruqs (en langue inuit excepté au Groenland, « amaruq » désigne également le loup générique) maintiennent les populations de caribous en bonne santé en ne chassant que les individus les plus affaiblis: c’est à dire les malades, les blessés, les plus vieux ou les sous-alimentés. Ceci permet aux hommes de s’approvisionner en nourriture, fourrures, graisses et matériaux essentiels.
- Rose (2001). Giants, Monsters, and Dragons: An Encyclopedia of Folklore, Legend, and Myth, New York, W. W. Norton & Company, 428 p.
- Rink (1997). Tales and Traditions of the Eskimo. Mineola: Dover Publication
La réintroduction du loup dans le Greater Yellowstone Ecosystem (GYE)
Yellowstone Nat. Park est le premier parc national au monde, dont le but est de préserver son écosystème. Mais dans le paradigme de l’époque, la protection ne s’appliquait pas aux prédateurs. Ainsi malgré l’idée de protection de la nature: ours, loups et pumas étaient toujours considérés comme de la peste. Et subirent la même persécution que sur le reste du territoire américain. Les pumas et les loups disparurent, et seuls quelques grizzlis et ours noirs demeuraient dans le parc. L’absence de grands prédateurs a provoqué un problème de surpopulation de grands ongulés (wapitis, principalement), créant un déséquilibre dans le renouvellement des couvertures forestières et des ripisylves.
Au cours des années 1960s et 1970s des biologistes comme L. D. Mech ont su mettre en lumière l’intérêt écologique des grands prédateurs. Et un ensemble d’éco-éthologues ont suggéré que le loup serait un bon candidat pour réguler les wapitis surabondants. De plus, on observait une expansion du loup depuis le Canada qui se poursuivait de plus en plus au sud à travers les Rocheuses. C’est alors que des gouverneurs locaux, appuyés par les rapports des biologistes, ont porté le projet de réintroduire le loup dans les rocheuses. Un comité de scientifiques et de représentants des groupes d’intérêts (élevage, chasse, naturalisme, foresterie…) a réussi à réintroduire le loup en 1995 au sein du parc national de Yellowstone et en Idaho Central, en tant qu’espèce expérimentale non-essentielle. La condition de cette réintroduction était de déployer un suivi scientifique permettant d’évaluer l’installation du loup dans le parc et de surveiller les meutes en dehors pour intervenir en cas d’attaques sur le bétail domestique.
L’évolution du retour des loups dans le parc s’est déroulé sans encombres. Les pumas sont revenus par eux mêmes dans les années 1980s et les ours ont reformé de meilleurs effectifs. La guilde des grands prédateurs est donc de retour. Cependant les conflits avec le monde de l’élevage restent encore bien présents hors du parc dans le GYE. Mais en cas d’attaques sur le bétail, la surveillance scientifique permet d’identifier les animaux « à problèmes », de les capturer, leur poser un collier émetteur et en les surveillant de vérifier s’il n’y a pas de récidives. Les méthodes non-létales du « Predator control » se sont toujours montrées bien plus efficaces que les méthodes létales, qui elles ne sont utilisées qu’en dernier recours et sur des individus très ciblés. Depuis le départ, le Wolf Project a pris en compte les connaissances des spécialistes de la biologie du loup. chercheurs, chasseurs, éleveurs et élus politiques et institutions se sont mis d’accord pour trouver un consensus. C’est grâce à ce cercle d’acteurs concernés et compétents qui fait de cet évènement l’une des plus grandes réussites mondiales en termes de réintroduction et conservation d’un grand prédateur.
Crédits images de haut en bas : (c) Steve Mattucci – Flickr ; (c) B. Oates, U.S Fish & Wildlife Service et (c) Association Houmbaba
La Fondation Suisse KORA
et le "Status and Conservation of the Alpine Lynx Population" (SCALP)
La Fondation KORA est née en 1994 dans le cadre du projet de suivi et de gestion du lynx en Suisse. Il s’agit d’une association de biologistes et de chercheurs spécialistes des félins mandatée par l’Office Fédéral de l’Environnement (OFEV). Depuis près de 30 ans, le KORA planifie, dirige et coordonne des programmes de recherche sur l’écologie et le comportement des carnivores sauvages dans un habitat majoritairement anthropisé. Leurs trois pôles d’activités sont le monitoring, la recherche et la médiation avec le grand public. Le leitmotiv « Recherche, Gestion et Médiation » sur ce site est directement inspiré par leur exemple.
Le KORA fournit un travail scientifique de grande qualité mis à la disposition des institutions cantonales et nationales, au secteur académique ainsi qu’au grand public. Parmi ses membres fondateurs figurent les auteurs de la méthode internationale des grands carnivores, les critères du SCALP.
Le projet SCALP organise et harmonise l’ensemble des structures dédiées à la conservation et la gestion du lynx dans l’ensemble de l’arc Alpin. Le SCALP a pour but de développer les standards de monitoring communs pour comparer les données acquises et combler les lacunes dans les différents pays alpins.
Les apports novateurs du SCALP sont conséquents. Il formule la nécessité de produire des données communes à travers les différents pays et celle de trouver un accord consensuel avec la population et les acteurs du terrain sur les mesures de gestion de l’animal à appliquer (notamment le monde de l’élevage, de la chasse et de la foresterie).
Le SCALP a également un rôle précurseur à travers la nomenclature des critères d’identification des indices de présence, classés selon leur degré de fiabilité (Critères 1, 2 et 3). Les indices de présence sont cartographiés sur le massif Alpin à travers un maillage de 10km2, à partir duquel il est possible de distinguer les différentes aires de présence certifiées, probables ou temporaires de l’espèce.
Ces outils méthodologiques ont tant montré leur efficacité que les critères SCALP sont aujourd’hui appliqués dans le suivi des autres carnivores en Suisse comme à l’international. Le projet de réintroduction et de gestion du lynx dans les Alpes est une réussite parfaitement comparable avec celle du loup dans les Rocheuses sur les plans de la réflexion, de la technique et de la rigueur méthodologique.
Crédits images: (c) KORA Bericht, site du KORA : www.kora.ch